Injection rétrobulbaire pour la cécité induite par l’injection d’acide hyaluronique. Revue des techniques et de leur efficacité

Article analysé par Dr Randa Khallouf supervisé par Isabelle Rousseaux

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Retrobulbar Injection for Hyaluronic Acid Gel Filler Induced Blindness : A Review of Efficacy and Technique.

Injection rétrobulbaire pour la cécité induite par l’injection d’acide hyaluronique. Revue des techniques et de leur efficacité.

Surek, Saïd, Perry, Zins. Aesth Plast Surg (2019) 43 :1034-1040.

La cécité représente une complication exceptionnelle mais catastrophique des produits de comblement. Sa fréquence devrait augmenter avec l’augmentation des nombres d’acte et l’arrivée de produits de plus en plus volumateurs.

Sa physiopathologie est bien décrite, mais son traitement mal codifié.

2 chirurgiens plastiques et un ophtalmo aux US ont réalisé une revue de la littérature sur cette complication, son traitement et évolution.

Petit rappel physiopath : l’occlusion de l’artère centrale de la rétine est due à une embolisation rétrograde de l’artère ophtalmique. L’injection par inadvertance d’une artère centrale de la face, avec une pression > à la pression systolique peut provoquer immédiatement à l’arrêt de cette pression un flux rétrograde dans le système vasculaire ophtalmique. Toutes les artères centrales de la face sont concernées avec une fréquence plus importante pour la zone de la glabelle et du dorsum nasal. La rétine résiste à 90 minutes d’ischémie.

La revue de la littérature a retrouvé 32 articles abordant la gestion de cette complication, pas tous exploitables. 75 cas de cécité ont été rapportés. Les traitements étaient les suivants : anticoagulants, corticostéroïdes, diminution de la pression intraoculaire (paracenthèse, acétazolamide, mannitol) et hyaluronidase (HAase). Plusieurs tt ont été souvent associés. Le délai de l’intervention, les techniques de tt, l’évolution n’ont pas toujours été rapportés rendant l’exploitation des données difficiles pour les auteurs. Ils ont retenu les éléments suivants :

– Un seul cas de récupération complète de la vue après injection rétrobulbaire de hyaluronidase.

– 4 cas de récupération partielle (un après diminution de la pression intraoculaire, 2 après HAase rétrobulbaire, et un cas non détaillé).

– 1 cas d’échec à l’HAase mais l’injection était réalisée 4 heures après l’installation de la cécité.

L’injection rétrobulbaire d’hyaluronidase pose quelques problèmes :

– L’artère centrale de la rétine est recouverte de 3 couches de méninges.

– Elle est très postérieure dans l’espace rétrobulbaire.

– De petites quantités d’hyaluronidase risquent seulement de « fragmenter » un acide hyaluronique épais et compact et provoquer l’apparition de petits embols qui peuvent s’éparpiller dans le flux vasculaire et provoquer d’autres petits embols.

Donc dimportantes quantités d’hyaluronidase sont nécessaires pour dissoudre le thrombus, et ces quantités doivent être injectés dans l’espace rétrobulbaire.

Un peu d’anatomie :

La cavité orbitaire mesure 42 à 54 mm de profondeur.

Le globe oculaire : 20 à 25 mm, il est situé dans la moitié antérieure de l’orbite.

L’espace rétrobulbaire est l’espace situé derrière le globe, il se situe à environ 25 mm du bord antérieur de l’orbite.

Le nerf optique chemine à l’intérieur d’un cône musculaire qui se dirige du foramen optique jusqu’au globe oculaire, il est accompagné de l’artère ophtalmique et l’artère centrale de la rétine.

Le quadrant le moins vascularisé de l’orbite est le quadrant inférotemporal donc la zone le moins à risque pour les injections rétrobulbaires.

Technique d’injection :

Préparation : anesthésie locale intraoculaire à la Tétracaïne, une petite intradermo xylo 1 % dans la paupière inf au niveau de son 1/3 externe, une seringue de 500 U HAase préparée dans 3-4 ml de sérum phy et une aiguille de 25 G longue de 1,5.

Le regard à l’horizontale (le patient ne doit pas regarder vers le haut) on palpe le rebord orbitaire inf. en poussant légèrement le globe vers le haut. L’aiguille est insérée juste au-dessus du rebord osseux, au niveau du 1/3 ext. de la paupière, biseau vers le haut, parallèle au plancher de l’orbite, inclinaison légère de 15° (vers le haut ? vers le bas ? ils ne précisent pas). Ne pas piquer dans le globe. En avançant dans l’orbite, la sensation d’un « pop » confirme le passage du septum orbitaire (à environ 1 cm). Quand on dépasse « l’équateur » du globe, on redirige l’aiguille à 30° en supranal et on avance de 2,5 cm. On ressent un autre « pop » qui correspond à l’entrée dans le cône orbitaire. Ce second bruit permet de confirmer que l’aiguille est à l’intérieur du cône. L’injection en dehors du cône peut être réalisée, elle sera moins efficace (ce sera une injection péribulbaire et non rétrobulbaire). Le plus important : éviter de forcer, si on sent une forte résistance à l’aiguille, c’est que l’on est au niveau de la paroi du globe.

Aspiration puis injection de 3 à 4 ml de produit (500 U). Ensuite, fermer l’œil du patient, et réaliser un appui léger pour la prévention du saignement.

Le risque de cette technique : perforation du globe oculaire, lésion du nerf optique et hémorragie rétrobulbaire.

Une alternative au cas où ce geste ne peut être réalisé, plusieurs injections de 500 à 1000 U d’ HAase dans la région supraorbitaire peuvent permettre une diffusion du produit dans cette zone .

Recommandations des auteurs :

Tout médecin injecteur doit être capable de gérer cette complication qui est une urgence médicale, l’intervention devant se faire moins de 90 minutes après le geste. Les auteurs recommandent d’être entrainé à cette technique avant de la réaliser ( !!?!!).

Commentaire personnel :

J’ai contacté des collègues ophtalmo pour avoir leur avis. L’anesthésie péribulbaire est plus facile à réaliser, mais elle innonde la zone et déforme les tissus, la rétrobulbaire préserve l’anatomie et permet des gestes plus fins c’est pour cela qu’elle est préféré pour la chir ophtalmo. Mais seulement certains anesthésistes la pratiquent car le geste est très technique et seule la régularité de cet acte permet de le maîtriser.

Aussi, je pense que cette complication engendre une très grande situation de stress, ce geste technique sera difficile à réaliser dans ces conditions, surtout que je ne vois pas comment on peut être formé.

Le plus raisonnable c’est de prévoir des centres de référence (comme Isabelle Rousseau l’a proposé lors d’un CEDEC), où l’on peut adresser ces patients (càd prendre sa voiture et l’accompagner).

J’espère que vous ne ferez pas de cauchemars après cet article qui reste cependant un très bel article.